
Les Français avaient besoin d’un budget sans délai ! Pourquoi les socialistes n’ont pas voté la censure
Dans une tribune parue dans Libération, Claude Raynal, sénateur de la Haute-Garonne et président de la Commission des finances du Sénat, revient sur les raisons pour lesquelles les socialistes n’ont pas choisi le chemin de la censure.
En ne votant pas la censure ce mercredi, le groupe socialiste a permis à la France d’avoir un budget pour 2025, un budget, certes, très imparfait et que nous avons combattu, mais un budget bien plus utile aux Français que la reconduite de celui de 2024 par le biais de la loi spéciale. Il est, d’ailleurs, piquant que certains trouvent aujourd’hui des qualités au budget 2024 d’Elisabeth Borne, budget ayant pourtant à l’époque fait l’objet d’une censure, et qui a débouché sur ce déficit hors norme que nous connaissons aujourd’hui de 6,1 %.
Une loi spéciale permettrait de passer l’année, de lever l’impôt, de payer les fonctionnaires, de subventionner et d’investir : faux.
Certes, une loi spéciale permet à l’Etat de passer l’obstacle de la fin d’année. Il permet de lever les impôts existants, mais empêche de les modifier (récupération d’un milliard d’euros sur la CVAE, augmentation du taux de la taxe sur les transactions financières, ou extension de la réduction d’impôts Coluche…). Il empêcherait aussi la contribution
exceptionnelle des ménages à hauts revenus ou des grandes entreprises aujourd’hui votée, alors même qu’en l’état de la représentation nationale aucun texte spécifique n’aurait trouvé une majorité pour le voter.
Quant aux fonctionnaires, outre le fait que le budget 2024 ne permet pas d’assurer l’évolution des rémunérations en 2025, quid des créations de postes à l’Education nationale ou à la justice ? Seule une loi de finances en autorise le recrutement…
Enfin, sans loi de finances, aucune prorogation de mesures n’est possible : dispositif Loc’Avantages, crédit d’impôt collection ou innovation, crédit d’impôt haute valeur environnementale, soutiens aux agriculteurs…
Quant à demander au gouvernement de mettre dans un texte spécifique les seules mesures positives pour les Français en laissant pour la loi de finances les mesures les plus difficiles, autant demander clairement à celui-ci de renoncer à une quelconque amélioration de nos comptes publics. Est-ce vraiment l’intérêt de la gauche et plus largement l’intérêt de la
France ?
L’absence de budget serait un problème pour la France : vrai.
Les gouvernements Borne et Attal sont responsables du pire déficit public que la France ait connu hors période de crise.
Si la dissolution de l’Assemblée nationale et le temps mis à remettre en place un nouveau gouvernement sont pour partie responsables de cette dérive de nos comptes publics et de la baisse de notre croissance à – 0,1 % au 4e trimestre 2024, notons que la censure du gouvernement Barnier n’y est pour rien.
Par contre, une nouvelle censure sur le budget aurait de nombreuses répercussions : sur l’image de notre pays, sur sa capacité à tenir ses engagements européens, sur l’investissement tant public que privé, tous éléments aujourd’hui très visibles par tous : les projets industriels des grandes entreprises comme des start-up sont en attente, les collectivités ne
savent pas comment boucler leurs budgets, les Français s’inquiètent, l’Etat lui-même ne connaît pas ses marges de manœuvre au moment où le climat international s’alourdit sensiblement.
Certes la France trouve et trouvera des financements pour acheter sa dette, mais à quel prix ? Notons, sur ce point, que les taux ont commencé à baisser dès que l’idée même de censure sur le budget a commencé à perdre de sa force.
N’inversons pas la charge de la preuve. C’est à ceux qui ont dégradé en profondeur nos comptes publics d’y porter remède. Notre rôle à nous, parlementaires, est de faire en sorte que cela se fasse en protégeant le plus possible les Français. De ce point de vue, qui peut croire que surajouter une crise politique, voire financière, à l’actuelle crise budgétaire serait utile à qui que ce soit ?
En censurant le gouvernement Barnier, la gauche a évité trois milliards d’euros de taxes sur l’électricité comme la non-indexation des retraites. En acceptant de discuter avec le gouvernement Bayrou, les socialistes ont permis de revenir sur la suppression de 4 000 postes d’enseignants, de permettre la création de 1 500 postes pour la justice. Nous avons rétabli
500 emplois pour France Travail, des crédits pour le sport, l’enseignement supérieur et la recherche, pour le fonds vert et l’Agence bio.
Nous nous sommes enfin opposés à toute remise en cause du panier de soins de l’aide médicale d’Etat. En matière sociale, nous avons pu revenir sur le déremboursement des médicaments, permis le réajustement de l’Objectif national de dépenses de l’assurance maladie (Ondam), et le triplement du fonds d’urgence pour les EHPAD à hauteur de 300 millions d’euros.
Nous aurions, certes, souhaité bien d’autres améliorations. Ce budget n’est pas le nôtre, et nous ne l’avons pas voté. Pour autant, et en l’absence d’une majorité politique alternative, nous l’avons substantiellement amélioré et par notre vote, nous donnons à notre pays une chance pour le sortir de l’ornière dans laquelle les gouvernements précédents l’ont précipité.